Analyse par Sud travail des 160 pages d'ordonnances, très abondantes et piègeuses à chaque article.

Imaginons la trajectoire d’un employé après les ordonnances Macron ou « vis ma vie de fainéant» ! Un déni de démocratie : L’article 38 de la constitution bien mieux que le 49-3 ! Il faut se battre, tout n’est pas joué !

Ces ordonnances, ce nouveau code du travail rédigé par l’ancienne DRH de Danone, experte en plan social, avec la complicité de certaines organisations syndicales…, ce « code du licenciement »  doit être combattu par tous moyens. Comme l’illustre parfaitement l’histoire de Dominique, les salariés seront précarisés à outrance

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1/  Imaginons la trajectoire d’un employé après les ordonnances Macron ou « vis ma vie de fainéant» !

Largement inspiré d’un article de Libé/ Luc Peillon/10.09.2017

Dominique est chanceux. A 28 ans, il vient de décrocher un CDD de fraiseur, à deux pas de chez lui, dans une PME qui travaille dans la fabrication de pièces automobiles. Un CDD… de 5 ans, qu’il s’est empressé de signer. Fini, la durée maximale de 18 ou 24 mois pour les CDD (la branche de la métallurgie a décidé de profiter à fond de la nouvelle loi réformant le code du travail, et de choisir cette nouvelle durée maximale). Son patron lui a dit. Dominique sait que son CDD peut être renouvelé plusieurs fois, avec un délai de carence réduit au minimum. Et tant pis si la banque, n’ayant aucune visibilité sur son avenir professionnel, lui a refusé son prêt immobilier.

Supprimer le 13e mois : 2 ans plus tard, comme Dominique travaille bien, son employeur le convainc de rompre d’un commun accord son CDD et d’accepter un CDI… Un CDI «d’opération» autorisé par la branche qui a utilisé pleinement la nouvelle législation permettant des CDI «de chantier ou d’opération», dont la rupture intervient avec la fin des tâches prédéfinies dans le contrat. Il s’agira pour Dominique de mettre en place 3 nouveaux robots fraîchement arrivés d’Allemagne. Une fois ce travail terminé, le CDI s’éteindra de plein droit. Dominique est un peu déçu mais la rémunération continue de le motiver. Il touche une prime de vacances et un 13e mois - les partenaires sociaux de la branche de la métallurgie viennent de l’adopter. Sauf que… les temps sont durs. Peugeot menace de faire une croix sur les commandes, les comptes risquent de virer au rouge. Pas très difficile, dans ces conditions, de persuader les élus du personnel de signer un accord supprimant à la fois le 13e mois et la prime. Une pratique permise par le nouveau code du travail…

S’aligner sur les autres : Dominique est quand même heureux. Son salaire, 1 400 € net par mois, est supérieur au smic. Son secteur industriel paie toujours mieux que le bâtiment ou les services. Sauf que … le patron a prévenu Dominique, ses concurrents sont allés encore plus loin que lui dans les souplesses accordées par la nouvelle législation : Peugeot est à deux doigts de rompre son contrat avec la PME, qui représente presque 30 % du chiffre d’affaires. Pas le choix, il faut s’aligner sur les autres, au risque, sinon, de perdre un des plus gros clients.

Le chef d’entreprise est vite rassuré : la nouvelle loi lui permet de négocier de nouveaux accords, où tout ou presque est permis. Fini les garanties de l’ancien monde qui prévoyaient notamment que le salaire ne pouvait pas baisser. Pour «répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise», ou (au choix) pour «préserver ou développer l’emploi», son patron a proposé aux salariés un accord qui réduira la rémunération de Dominique au niveau du minimum conventionnel, soit 230 euros de baisse mensuelle et qui l’oblige également à travailler en horaires décalés. L’accord a convaincu d’autant plus facilement les salariés que c’est Philippe, le délégué du personnel, proche du patron c’est vrai, qui a négocié. Les choses ont bien changé depuis le dernier accord, signé par un salarié mandaté par un syndicat combattif qui avait suivi de près les négociations. Avec la nouvelle loi, plus besoin de syndicat dans les entreprises de moins de 50 salariés pour négocier et signer un accord.

Nouveau barème aux prud’hommes : Dominique reste néanmoins (encore un peu) optimiste. Il a toujours son boulot. Et depuis 8 mois qu’il bosse en CDI (d’opération), il a déjà installé 2 robots. Reste encore à installer le 3ème. Sauf que… Dominique ne comprend pas, il vient de recevoir une lettre qui lui annonce la fin de son contrat. «Et le troisième robot alors ?» s’insurge-t-il. Il se plaint auprès de son collègue Antoine, dans les vestiaires : «C’est totalement injustifié !» Antoine est sympa et lui livre les dernières rumeurs qui circulent : le patron aimerait bien embaucher son petit-neveu. Et il a les compétences parfaites pour le poste… de Dominique. Cette fois-ci, c’en est trop : «Un CDD de cinq ans puis un CDI d’opération, la prime de vacances et le 13e mois supprimés puis la baisse de salaire de 230 euros par mois. Et maintenant un licenciement injustifié ?» Dominique a décidé, il va saisir les prud’hommes. Sûr, il va arracher un beau pactole à son patron pour cette injustice.

Quelques mois plus tard, quand les juges des prud’hommes lui expliquent, il ne veut pas y croire : oui, ils savent que c’est le petit-neveu qui a été embauché. Et oui, ils auraient voulu sanctionner le patron. Mais Dominique ne pourra pas toucher plus de 3 mois de salaire en compensation. C’est le nouveau barème !  Après 32 mois de présence dans la boîte, même si le licenciement est irrégulier, il ne peut pas toucher plus de 3 mois de salaire brut d’indemnités…même pas de quoi compenser la baisse de salaire et la suppression de la prime qu’il a subies.

Quelques mois plus tard, Dominique n’est malheureusement plus seul : le patron a licencié 1/3 des salariés de la boîte. L’entreprise allait mal, paraît-il. «Même si elle faisait partie d’un groupe international qui pétait le feu ?» demande Dominique à Antoine, au chômage lui aussi. Antoine ne sait pas trop quoi répondre. Mais en allant aux prud’hommes, les juges leur disent qu’ils n’ont plus le pouvoir, avec la nouvelle loi, de juger des difficultés économiques au niveau de tout le groupe mais seulement de la France. Dominique et Antoine attendent désormais avec impatience la réforme à venir de l’assurance chômage, prochain dossier social au menu du gouvernement…

2/ Un déni de démocratie : L’article 38 de la constitution bien mieux que le 49-3 ! Il faut se battre, tout n’est pas joué !

1ère étape : la loi d’habilitation du 15 septembre 2017 (JO du 16)

C’est bien la peine d’avoir fait la course à l’élection pour ne pas faire le boulot…mais n’oublions pas les indemnités ! Pour pouvoir prendre des ordonnances, le gouvernement doit être habilité par le Parlement qui accepte ainsi de lui déléguer son pouvoir de légiférer (article 38 de la Constitution).

La loi d’habilitation a été votée par le parlement le 2 aout 2017. Des députés insoumis, communistes et socialistes ont saisi le 9 aout le Conseil constitutionnel qui a validé la Loi le 7 septembre 2017 (pas surprenant vu sa composition...).

Cette loi prévoit 2 délais : 6 mois pour la parution des ordonnances et 3 mois après leur publication pour qu’elles soient ratifiées par le parlement.

2ème étape : la ratification des ordonnances

Une fois donc la loi d’habilitation publiée, les projets d’ordonnances (5) vont être soumis à diverses instances consultatives (dont le Conseil d’Etat) et devraient être adoptés au Conseil des ministres le 20 septembre 2017. C’est alors qu’elles seront publiées et chacune d’elles devront ensuite faire l’objet d'un projet de loi de ratification qui seront déposés au Parlement au plus tard dans les 3 mois (maxi autour du 25 décembre 2017). Si ce délai de 3 mois est respecté, le Parlement examinera les projets de lois de ratification avant de procéder à son vote. Dans le cas contraire, les ordonnances deviendraient caduques. Ces délais sont donc primordiaux pour le Gouvernement.

3ème étape : décrets d’application

Pas moins de 80 décrets sont annoncés dans les 5 ordonnances Macron, dévoilées le 31 aout 2017 (celle sur la négociation collective annonce 10 décrets ; celle sur la nouvelle organisation du dialogue social en prévoit 55 et 16 de plus pour celle sur la sécurisation des relations de travail). Tous ces décrets devront être  pris dans un délai maximal de six mois.

Ces procédures et ces délais nous donnent du temps pour nous mobiliser plus fort que jamais.

3/ Ces ordonnances, ce nouveau code du travail rédigé par l’ancienne DRH de Danone, experte en plan social, avec la complicité de certaines organisations syndicales…, ce « code du licenciement »  doit être combattu par tous moyens :

Regardons d’abord cette grande et belle idée de la négociation, solution à tous les problèmes parait-il, le chômage, l’investissement industriel, la migraine, le réchauffement climatique aussi peut-être … une conception de la négociation qui remet le patron comme le renard au milieu du poulailler qui constitue un cadeau de Noël à TOUS les établissements, quelle que soit leur taille. La pression par le lien de subordination et le chantage à l’emploi a encore de beaux jours devant elle.

On entend partout  que la branche protègera toujours des accords d’entreprises plus défavorables, notamment sur les salaires, sauf qu’en même temps le gouvernement invente l’accord d’entreprise « afin de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ou en vue de préserver, ou de développer l’emploi »… Bizarrement personne ne parle de ces nouveaux accords tous terrain qui vont balayer les accords RTT et qui vont finalement permettre de s’assoir sur toutes les règles et faire sauter toutes les barrières qui protègent les salariés, qu’elles soient fixées par la branche ou le contrat de travail.

Avec ces accords on peut  « aménager les rémunérations » : on a entendu parler de remplacer la prime d’ancienneté par une prime de garde d’enfant… mais rien n’empêche de faire pire tant qu’on « assure des garanties au moins équivalentes » à la branche au niveau de l’entreprise : transformer une part du salaire en prime, c’est équivalent…  Ce n’est pour rien qu’en réécrivant l’article, les ordonnances ont supprimé que l’accord « ne peut avoir pour effet de diminuer la rémunération mensuelle du salarié ». Même cette garantie de la Loi Travail est de trop !

Avec ces accords on pourra encore « aménager la durée du travail » : comment mesurer l’équivalence ? C’est pareil pour la « mobilité géographique » et la « mutation professionnelle » qui pourront être balayées.

Durée du travail, paie et lieu du travail – tout est remis en cause car ces accords s’imposent au contrat de travail : Libre aux salariés de refuser en échange de quoi c’est la porte ! Un nouveau motif de licenciement est inventé pour l’occasion.

Auparavant il fallait justifier d’un motif pour modifier les contrats, et licencier pour motif économique en cas de refus. Désormais plus rien ne vous protège, vous êtes licencié pour avoir refusé l’accord d’entreprise, sans reclassement, sans CSP. Le licenciement ne peut plus être abusif : Adieu les indemnités, bonjour le chômage aux frais de la collectivité qui paie la flexibilité imposé par le patronat.

Les seules garanties maintenues et prévues par le code du travail sont réduites à leur plus simple expression : le seuil de 35h comme déclencheur des heures supplémentaires, les 11h de repos quotidien et le repos hebdomadaire de 35h. Tout le reste sera fixé par accord d’entreprise ou d’établissement.

Une fois la lumière faite sur les dangers de ces accords d’entreprise, penchons-nous sur la naissance des accords dans l‘entreprise en gardant à l’esprit les effets qu’ils auront sur chaque salarié. On est pas dans la préservation d’un pré carré syndical mais on dissous complètement la négociation dans le pouvoir patronal.

La sérénade sur le dialogue social fait passer les syndicats à la trappe :

Dans les entreprises de moins de cinquante salariés, soit 52 % des salariés français,  le patron impose sa vue :

- Soit par référendum direct dans les moins de 20 salariés,

- Soit par référendum indirect quand la négociation a eu lieu avec un salarié mandaté.

Dans tous les cas, on passe les syndicats, tous les syndicats, à la trappe. Le droit syndical dans l’entreprise, né en 1968, ne fêtera pas ses 50 ans.

En détail : Fini le monopole syndical de la négociation, la chasse aux délégués syndicaux est ouverte !

Depuis la loi Travail, le syndicat minoritaire peut contourner un syndicat majoritaire en convoquant un référendum. En l’absence de délégué syndical, l’employeur n’a même plus besoin d’un salarié mandaté par un syndicat puisqu’il est autorisé à négocier avec les élus de l’entreprise, même non syndiqués.

Les ordonnances prétendent ajouter de la démocratie, qu’en est-il vraiment ? Remarquons au passage l’extrême simplicité des possibilités de négociation…

  • Dans les entreprises de moins de 20 salariés sans élus : le patron imposera sa décision par voie de référendum (majorité des 2/3). Ici pas de « négociation », les salariés acquiescent ou rejettent en bloc. Quel salarié osera se faire remarquer en refusant dans une petite entreprise ?
  • Dans les entreprises de 11 à 50 salariés : la négo avec un salarié mandaté par un syndicat devra être approuvée par 50% des salariés, à moins qu’il ne soit élu du personnel. Le mandat syndical a moins de valeur que l’élection, c’est un procès en représentativité fait à tous les syndicats.

Seules les entreprises de plus de 50 salariés devront négocier avec un DS ou un élu mandaté par un syndicat. Il n’y a que FO et la CFDT pour s’en réjouir. A les entendre, grâce à elles ce seuil prévu à 300 salariés a été abaissé à 50. Belle victoire !!!

Exit donc les syndicats dans tous les établissements de moins de 50 salariés.

Dur dur de contester un accord :

Car pour en contester la légalité, le délai est réduit à 2 mois. Même le juge est limité dans son pouvoir : en cas d’illégalité, si son annulation peut entrainer des « conséquences excessives » (du point de vue de l’employeur…), elle ne pourra produire des effets que pour l’avenir.

La périodicité des Négociations annuelles obligatoires pourra passer de 1 à 4 ans, par accord ; le délit d’entrave sur l’égalité professionnelle hommes-femmes est supprimé. 

Comme tout est fait pour que les employeurs ne soient gênés en rien, ils pourront demander à l’administration un avis préalable qui la liera pendant 1 an…comme si l’inspection du travail n’avait rien d’autre à faire, comme si les employeurs n’étaient pas suffisamment aidés. Le service public et gratuit doit d’abord leur profiter, à eux.

Finies les 4 instances du personnel, bonjour le comité social d’entreprise voire le conseil d’entreprise :

La fusion des instances CE, DP et CHSCT donne naissance au Comité Social d’Entreprise. C’est lui qui « pourra » décider de mettre en place une « commission » HSCT dans les entreprises de plus de 300 salariés ; c’est encore pire qu’avant 1982 où le CHSCT était une commission du CE mais dans toutes les entreprises de + de 50 salariés.

Alors que la France est championne d’Europe de la souffrance au travail : 565 morts et 100 000 burn-out chaque année au travail. (Statistiques EUROSTAT novembre 2016), le CHSCT disparait, au mépris des textes européens (directive cadre 89/391/CEE de 1989, traité UE article 153).

La proximité disparait aussi, les salariés ne verront plus leurs élus (ex : chez Orange les 1000 DP et 19 CE deviennent 19 conseils d’entreprise).

Il était déjà possible de fusionner les instances depuis la Loi Rebsamen (en 2015 !) par décision de l’employeur ou accord dans les entreprises de plus de 300… cette possibilité n’a pas été utilisée, pourquoi l’imposer par la loi ?

Il va falloir trouver les candidats… ceux qui accepteront de se taper tout le boulot, de se retrouver nez à nez, en permanence, sur tous les sujets, face à leur patron, face à celui qui reportera leurs congés, qui leur refusera des augmentations de salaire, des formations…

Le nombre d’élus, leurs moyens, les crédits d’heures seront prévus par décret. On sait déjà que le CSE devra participer financièrement aux frais d’expertise à hauteur de 20% alors que jusqu’ici ces expertises étaient à la charge du seul employeur. Belle façon de freiner l’utilisation d’experts pour éclairer l’avis des CE ; la participation devrait s’imputer sur le budget de fonctionnement, souvent plutôt faible.

Et ce n’est pas tout, le gouvernement dévoile très nettement la vision syndicale qu’il convient d’avoir : lorsque les DS seront fusionnés avec le comité social d’entreprise, il deviendra « conseil d’entreprise » !!!! Quelle douce appellation !

4/ Comme l’illustre parfaitement l’histoire de Dominique, les salariés seront précarisés à outrance :

Le CDI de chantier ou d’opération : un nouveau CDD qui ne porte pas son nom, évidemment sans prime de précarité. En lieu et place de la Loi, c’est la convention de branche qui en fixera les possibilités. Un CDI plus précaire et moins protecteur qu’un CDD puisque ces contrats n’auront pas de terme prévu. Dès que le chantier, la mission, l’opération seront terminés, le contrat prendra fin, sans motif ni procédure. Que rêver de mieux ?

La période d’essai des CDI ne sera plus définie par la loi mais par la branche.

Le nombre de renouvellement de CDD intérim limité à 2 peut être augmenté à l’infini par accord de branche.

Le licenciement n’est plus qu’une formalité sans conséquence :

Plus besoin de motiver une lettre de licenciement. Si le salarié veut connaitre le motif de son licenciement, il n’aura qu’à le demander pour ne pas être le bec dans l’eau aux prud’hommes et tout ça pour obtenir une indemnité limitée à 1 mois de salaire.

Le délai de recours aux prud’hommes, pour contester un licenciement est réduit de 2 ans à 1 an (il était de 30 ans en 2008)…

La compensation financière pour réparer le préjudice financier et moral  sera tarifée et plafonnée à 20 mois de salaire pour un salarié ayant 30 ans d’ancienneté. Elle est réduite de 6 mois à 3 mois pour ceux qui ont travaillé 2 ans dans la même entreprise. Donc des indemnités bien moindres pour les salariés qui contestent des licenciements reconnus comme illégaux (« sans cause réelle et sérieuse »). Bref, des clopinettes, des queues de cerises… On légalise et on permet de budgétiser le licenciement abusif. Cette tarification se heurte au principe général de réparation intégrale du préjudice subi qui existe dans toutes les autres branches du droit… sauf en droit du travail ?!

La rupture conventionnelle collective pour remplacer les plans de départ volontaires (PDV) qui souvent étaient accompagnées d’une prime incitative au départ, une prime supra légale ou conventionnelle. Ces PDV étaient trop couteux pour ces chers patrons !

Dans la version Macron, le coté collectif n’est que l’addition des ruptures individuelles. La négociation sera menée sur le mode individuel. Tout est fait pour éviter de justifier d’un motif, de payer, de donner des explications aux représentants du personnel. Cette saleté inventée en 2008 par Sarkozy, à la demande expresse du MEDEF qui réclamait toujours plus de «souplesse », qui osait prétendre qu’un patron et un salarié étaient sur un pied d’égalité ; cette saleté donc a explosé, plus de 35 000 ruptures conventionnelles en juin 2017. Depuis cette invention, le nombre de licenciements économiques a chuté vertigineusement. C’est la meilleure manière d’éviter des licenciements collectifs (appelés abusivement Plans de Sécurisation des Emplois)…

Les PSE facilités : pour ceux qui en feront encore…

Le motif économique du licenciement sera apprécié sur le seul périmètre national, même si des entreprises du même groupe à l’étranger s’en mettent plein les fouilles. Avec ce nouveau coup de Jarnac, les salariés de Goodyear, de Continental, de Mory Ducros, de Molex, de Sanofi, des 3 suisses, d’IBM, d’Aubade, de Thomé-Génot… n’auraient pas gagné la procédure judiciaire qu’ils ont engagée. Ils n’auraient pas obtenu du juge la reconnaissance de leur licenciement sans cause réelle et sérieuse. C’est l’illustration parfaite d’une réforme qui est un cadeau aux multinationales, pas aux PME.

En cas de PSE contesté au tribunal administratif, le juge administratif n’aura pas encore statué que les salariés ne pourront plus déposer de requête si le PSE est déclaré illégal, le délai d’un an sera déjà dépassé.

Ce gouvernement ne connait rien au monde réel et cruel des entreprises :

Dommage qu’il ne lutte pas contre les discriminations syndicales généralisées en France, 1er obstacle à la syndicalisation (avis du CESE du 13 juillet 2017).

Dommage encore qu’il ne lutte pas contre la 1ère cause de faillite des entreprises : le non-respect des délais de paiement. En 2015, 15 milliards d’euros manquaient aux caisses des PME, ce qui serait la cause d’un quart des faillites. Et les mauvais payeurs sont les plus gros. Ces délais continuent à se rallonger en 2015.

Dommage enfin, qu’il ne lutte pas pour mettre au pas les donneurs d’ordre qui mettent la pression sur leurs sous-traitants et leur faux travailleurs indépendants. Leur dumping va pouvoir augmenter en faisant pression pour une baisse des salaires.

 

Mais regardons de près les évolutions du code du travail :

Le code du travail n’est ni anticapitaliste ni révolutionnaire : il permet d’aménager, de faire avec… mais en tenant compte du lien de subordination. C’est pourquoi il est un code protecteur des salariés, qui donne des libertés, des droits et des garanties… sans quoi le pouvoir patronal serait total.

Le lien de subordination existe bel et bien, même dans les starts-up, même chez UBER ou DELIVEROO ; C’est un rapport de domination qui ne permet pas aux travailleurs ou à leurs représentants de négocier d’égal à égal. L’employeur a tous les pouvoirs : économique, organisation du travail, disciplinaire, d’embauche et de licenciement alors que le salarié est en situation de dépendance économique et sociale, il est tenu d’obéir.

C’est pourquoi ce n’est pas au patron de faire sa loi établissement par établissement : que dirait-on d’un Code de la route pour chaque quartier, décidé par le plus riche des propriétaires ? La loi fixe des règles communes, identiques pour l’ensemble des salariés, elle est générale et permanente. C’est la compensation de ce déséquilibre inhérent à la relation contractuelle employeur et salarié qui est la raison même de l’existence du droit du travail.

Le code du travail n’est ni plus gros ni plus compliqué que d’autres, il régit la vie au travail de plus de 18 millions de salariés.

Négocier, c’est quoi ?

Le code du travail a beaucoup grossi depuis 30 ans en raison des multiples dérogations rendues possibles par la négociation et, en particulier, par accord d’entreprise. La simplification était déjà l’objectif de la Loi El Khomri. Résultat ? 150 pages de plus ajoutées au code du travail.

La négociation devrait conduire à réclamer des droits supplémentaires pour les salariés, c’est-à-dire avoir le droit de demander plus (pas moins). Mais oser cette négociation-là suppose un nécessaire rapport de force.

Elle s’est développée, en 1950, au niveau des branches, comme un moyen de définir des règles communes à une même profession et d’égaliser les conditions de la concurrence entre entreprises d’un même secteur ; c’est ce qu’on appelle la « loi de la profession ».

Jusqu’en 2004, la négociation collective était maîtrisée par la loi, grâce au principe de faveur, dans une hiérarchie des normes favorables aux salariés.

La hiérarchie des normes est un des principes fondateurs de notre droit du travail. La supprimer c’est permettre que les règles et garanties, qui s’appliquaient, à minima, à tous les salariés, quelle quoi soit leur entreprise, la branche ou l’endroit de France où ils travaillent…, soient supprimées.

Tout est cul par-dessus tête. Les patrons auront tout le loisir de contourner ces garanties protectrices des salariés par tout moyen, que ce soit par accord d’entreprise, accord d’établissement, par le contrat de travail ou par une simple décision qu’ils pourront prendre seuls, dans certains cas.

Ces dérogations accordées au patronat ont surtout entrainé un rabotage des droits des salariés.  Avec quels effets ? Le chômage n’a pas cessé d’augmenter. Par contre, la santé et la vie personnelle des salariés n’ont cessé, elles, de se détériorer. Même les chefs d’entreprise disent que le code du travail n’est pas un frein aux embauches (enquête INSEE publiée le 20 juin 201 auprès de 10 000 employeurs).

Négocier c’est devenu la possibilité de déroger à la LOI, lorsqu’elle le prévoit, depuis les années 1980.

- Le 1er coup de poignard est venu de la loi Fillon du 4 mai 2004. Elle a permis de négocier par accord d’entreprise des dispositions moins favorables que celles de la convention collective de la  branche. Quelques matières dites «  sanctuarisées » échappaient à cette nouvelle règle (principalement les salaires minima et les classifications + garanties collectives en matière de complémentaire, mutualisation de la formation professionnelle + égalité professionnelle et pénibilité depuis la loi travail).

- Le 2ème coup de poignard est venu de la loi Bertrand, dite « Sarkozy » en aout 2008, l’accord d’entreprise peut même déroger à la loi ; les matières sanctuarisées se réduisent à peau de chagrin.

® En résumé, avant la loi travail :

  • Avant 2004, le principe fixé par la loi permettait de déroger par accord d’entreprise aux conventions et accords collectifs de branche à condition de prévoir des dispositions plus favorables aux salariés;
  • depuis 2004 et 2008, la dérogation à des dispositions législatives et réglementaires dans un sens défavorable par accord d’entreprise est possible. C’est ce qu’on a appelé l’inversion de la hiérarchie des normes et la disparition du principe de faveur.

Depuis la loi travail de 2016, la hiérarchie des normes n’est plus seulement inversée, elle est détruite, le modèle social a changé :

L’accord d’entreprise peut déroger en moins à l’accord de branche voire à la loi. Les barrières, les limites de la loi ont notoirement rétréci, le champ de la dérogation est bien plus large qu’avant.

Mais surtout, cette loi a permis 2 niveaux supplémentaires de dérogations défavorables aux salariés : par accord d’établissement et par accord de groupe qui pourront, à leur tour, déroger en moins à l’accord d’entreprise.

La concurrence entre les salariés est généralisée : elle s’étend aux salariés de différents établissements d’une même entreprise, à ceux de différentes entreprises d’un même groupe, à ceux de différentes entreprises ou groupes d’une même branche.

→ Les ordonnances Macron prolongent ces offensives et se situent sur 2 niveaux différents :

Les attaques contre l’inspection du travail, contre le corps de contrôle du droit du travail (réformes à répétition, suppression de 20% de postes de contrôle, mise au pas (code de déontologie)…) ont été menées depuis 2014. Il restait à s’en prendre :

- au droit du travail lui-même,

- à l’institution judiciaire qu’est le CPH. Un quart des CPH a été supprimé en 2007 (62 sur 271). Les saisines prud’homales ont baissé de 40% des depuis l’été 2016…merci à la Loi Macron de 2015 et à un décret de mai 2016. On tue la justice populaire du travail, on la réserve à ceux qui ont les moyens (intellectuels et financiers).

Voilà où on en est !

- Depuis 30 ans, depuis le chômage de masse, le message lancinant et faux est que le droit du travail est contraignant. La négociation, avec des syndicats rebaptisés à cette occasion ‘partenaires sociaux’, pour convaincre les syndicats d’abandonner la protection des salariés, est devenue l’arme pour réduire les droits des salariés, pour déroger à l’ordre public social.

- La négociation est descendue au niveau des entreprises et des établissements, entrainant un fort risque de dumping social. Descendre à ce niveau-là signifie que la fabrique du droit du travail est déléguée à chaque employeur de chaque entreprise ou de chaque établissement.

Un droit du travail différent d’une entreprise ou d’un établissement à l’autre ne serait, à coup sûr, pas  plus simple, il ne permettrait pas de lutter contre le chômage et  surtout il serait incontrôlable !

Les conséquences directes :

- Un retour à la fin du XIXème siècle quand le droit du travail n’existait pas, quand le rapport de subordination n’était pas pris en compte, quand chaque travailleur était un entrepreneur individuel en puissance (ça nous rappelle UBER, DELIVEROO…), libre de vendre sa force de travail à n’importe quelle condition… 

- Chaque salarié doit intérioriser une consigne claire : j’aimerai bien demander mais je ne peux pas.

Pourquoi cet engouement pour la négociation collective ?

- Il ne s’agit pas non plus d’aller vers davantage de négociation collective : dans le code du travail actuel TOUT est en place pour la négociation, à tous les niveaux, y compris au niveau de l’entreprise et de l’établissement, y compris pour déroger à la loi. Il est même possible quand on a épuisé les DS de négocier avec des élus, des mandatés, des salariés…

- L’idée de droit négocié n’est qu’un affichage : la négociation n’est pas cette recette miracle qui permettrait de fixer la règle la plus juste.

Il faut bien comprendre ce qui se joue : un changement de modèle social !

Négocier en vrai c’est quoi ?

Depuis 1968, le syndicat dans l’entreprise n’a jamais vraiment eu sa place.

Il est toujours la victime d’un procès en légitimité. Son image publique, construite de toutes pièces, est abimée : les syndicats ne représentent personne, ne servent qu’eux-mêmes ! Tous les moyens sont bons pour discréditer les syndicats revendicatifs. Et ça marche, 1 siècle après la création de la CGT, c’est la CFDT qui est devenue le 1er syndicat représentatif.

Suppression de la négociation de revendications :

Le législateur a poursuivi son travail de sape, avec la loi travail :

- la périodicité des négociations obligatoires s’allonge (de 1 à 3 ans et de 3 à 5 ans)

- accord minoritaire, suppression du droit d’opposition, pression populaire par recours au référendum (aux suffrages exprimés), tout le monde peut négocier, l’accord est par principe à durée déterminée (tous les 3 ans, on pourra donc négocier en moins), l’accès des salariés aux accords est partiel et décidé par accord, en cas d’échec des négociations l’employeur peut décider seul, pourquoi s’enquiquinerait-il à négocier ? etc

On négocie peu et mal :

- Les négociateurs ne sont pas sur un pied d’égalité : lien de subordination, les représentants du personnel sont moins bien formés que les DRH, chantage à l’emploi, pressions…

- Non-respect de la parole donnée puisque la sanction de la nullité d’un accord est supprimée (L2222-3-1 CT) contentieux augmente

- La liste de thèmes ouverts à la négociation ne cesse de s’allonger.

- on négocie très peu dans les entreprises de moins de 50 salariés (50% de l’emploi salarié), peu aussi dans toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, sauf quand c’est la loi qui l’impose (durée du travail, salaires, temps partiel…).

- Au niveau des branches : de nombreuses négociations sont dans l’impasse et beaucoup de minima conventionnels sont toujours inférieurs au SMIC…

Donc, depuis 30 ans, la même idéologie a déjà laissé une grande place à l’accord collectif.

Et depuis 30 ans on connait le bilan ! Ça suffit !

Non seulement il ne faut pas aller plus loin dans cette voie mais il faut faire marche arrière.

Tous les exemples montrent que les patrons ne veulent pas plus de négociation. Ce qu’ils veulent c’est l’absence totale de contrepouvoir, et moins de droits pour les salariés.

Les salariés ont TOUT à perdre dans le droit négocié et les patrons TOUT à gagner.

  • Nous revendiquons un droit du travail simplifié, au profit des salariés et notamment :

- L’inscription dans la Constitution du respect de la hiérarchie des normes (un contrat de travail ne peut déroger à un accord d'entreprise, un accord d'entreprise ne peut déroger à une convention de branche, une convention de branche ne peut déroger à la loi de manière défavorable aux salariés),

- L’abrogation de la loi travail, mais aussi l’abrogation de l’inversion de la hiérarchie des normes mise en place depuis 2004 par la remise en cause du principe de faveur,

- Le rétablissement de l’égalité salariale dans les 2 ans. Toutes les études montrent, depuis bien trop longtemps, les écarts de salaires entre les hommes et les femmes malgré une obligation de négocier qui ne règle rien,

- L‘application du Code du Travail à tous les salariés voire aux travailleurs dits indépendants, souvent en situation d’allégeance,

- Une condamnation systématique des patrons qui ne respectent pas la réglementation,

- Des droits nouveaux pour les représentants du personnel, un pouvoir de veto dans l’entreprise,

- L’abrogation des règlements intérieurs dont le seul but est de discipliner et contraindre les salariés,

- le refus de la surveillance électronique des salariés,

- le droit pour les salariés de se réunir sur le temps de travail,

- L’abrogation de tous les textes prévoyant des aides, abattements, exonérations de charge, des dérogations moins favorables,

- La suppression des contrats précaires (intérim, CDD),

- La promotion d’un code du travail européen, construit par agrégation des meilleures dispositions nationales, pour empêcher toute forme de dumping.

Le 21 septembre 2017


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