postillonTitreLe Postillon dénonce une nouvelle fois les méthodes de La Poste à travers ce cinquième épisode. Retrouvez l'article intégral dans le Postillon de cet Automne, disponible chez votre buraliste. "La Poste innove encore et toujours. Surtout à propos des arrangements avec le Code du travail. Ces dernières années, elle s’est mise à embaucher des facteurs en CDI en passant par des Groupements d’employeurs logistique (Gel).

 Cela permet de maintenir les nouveaux venus, qui font le même boulot que les facteurs classiques mais avec un salaire plus bas, dans un climat de peur."

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Comme un mal-être à La Poste - épisode 5 -

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Les facteurs en travailleurs détachés

La Poste innove encore et toujours. Surtout à propos des arrangements avec le Code du travail. Ces dernières années, elle s’est mise à embaucher des facteurs en CDI en passant par des Groupements d’employeurs logistique (Gel). Cela permet de maintenir les nouveaux venus, qui font le même boulot que les facteurs classiques mais avec un salaire plus bas, dans un climat de peur. Mais cette magouille ne rentre pas franchement dans le cadre de la loi. Récemment, le recours à des contrats Gel à été qualifié de « prêt illicite de main-d’œuvre  » et de « marchandage » par l’inspection du travail.

« Petit à petit je me suis rendu compte que j’étais une factrice de seconde zone. » Juliette* a d’abord été embauchée à La Poste en CDD (Contrat à durée déterminée), dans la cuvette. Au bout de quelques mois, on lui propose, à l’occasion d’une réorganisation, un CDI (Contrat à durée indéterminée), où l’employeur ne serait pas La Poste mais un Groupement d’employeurs logistique (Gel). «  Ils m’ont dit qu’ils avaient atteint leur quota de CDI à La Poste alors qu’on était obligé de passer par ce Gel. Au début j’étais contente, avant de m’apercevoir de l’entourloupe : on fait le même métier, mais on n’a pas les mêmes avantages, on n’a pas le droit à des formations et on n’a pas eu la “prime Macron” au début de l’année. On n’a même pas de possibilité de commander des vêtements La Poste : comme les CDD, on récupère les vieux gilets ou vieilles vestes des facteurs en CDI.  »


Paul* a un parcours similaire. Deux ans de contrat CDD pour La Poste dans une autre commune de l’agglomération, puis embauche en CDI Gel : « Je n’ai aucun avantage du groupe La Poste, par contre j’ai tous les inconvénients.  » Syndicaliste Sud PTT, Sam s’est penché sur la différence entre un contrat La Poste et un contrat Gel : « Sur la feuille de paye de Juliette, on voit que son salaire mensuel est inférieur d’au moins 58 euros à celui d’un facteur en CDI salarié directement avec La Poste, pour strictement le même grade, la même ancienneté et surtout le même travail. Ça peut sembler minime, mais vu le salaire de facteur (à peine au-dessus du Smic), c’est important. C’est un manque d’équité qui est interdit par le Code du travail. » La Convention collective nationale des transporteurs routiers, dont dépendent les contrats Gel, est également moins adaptée au métier de facteur, au boulot six jours sur sept : « Par exemple, elle ne prévoit presque rien pour les parents : un postier peut exceptionnellement s’occuper de son enfant une journée s’il est malade, il recevra un maintien de salaire, tandis qu’un CDI Gel dans le même cas aura une retenue d’un trentième de son salaire mensuel. »

Une agence d’intérim frauduleuse

Les CDI Gel sont une nouvelle ruse managériale de La Poste : après avoir été régulièrement condamnée pour son recours abusif aux CDD (son record est de 572 contrats en 19 ans pour une même personne), l’entreprise passe de plus en plus rapidement aux CDI.

Mais plutôt que de faire signer un CDI postal, La Poste propose donc des CDI Gel. Les groupements d’employeurs logistique sont des associations loi 1901 constituant une sorte d’agence d’intérim pour des grandes boîtes du secteur de la logistique. Parmi les adhérents, on retrouve La Poste donc, mais aussi Ikea, Amazon, Mondial Relay, XPO Logistics, Carrefour, Auchan, Danone, etc. En fonction des besoins des entreprises, le salarié doit changer de structure et ne peut pas refuser de poste dans un rayon de 50 kilomètres. C’est tout bénéf’ pour les boîtes qui ne peuvent pas embaucher d’intérimaires pour « un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise  ».

Parfois, il y a quelques incohérences : par exemple Paul a été embauché par le Gel Satolas dont le siège social est à Saint-Priest. Son contrat stipulait que son « affectation ne pourra excéder une zone géographique dans un rayon de 50 kilomètres autour du siège social du Gel Satolas » et pourtant il bossait dans la cuvette soit à plus de 100 kilomètres de Saint-Priest.
Depuis, le Gel Satolas a été absorbé par le Gel Gebara (Grand Est, Bourgogne, Auvergne, Rhône-Alpes). Toutes les régions de France ont leur association Gel, qui dépend de la même boîte : D2L groupe. C’est elle qui s’occupe des « prestations administratives », de la « communication, marketing et accès aux réseaux  » ou des « relations bancaires  ». En échange les Gel lui reversent 15 % de leur chiffre d’affaires. Ceci permet à D2L groupe d’afficher un solide chiffre d’affaires et d’enrichir son vaniteux patron. Guilhem Dufaur de la Jarte s’enorgueillit d’avoir créé «  4 000 CDI en dix ans  » avec les Gel et vient de publier un livre engagé intitulé Le chômage n’est pas une fatalité – les propositions d’un employeur créatif. Sur le site internet de D2L, le groupe se définit comme « acteur majeur de la flexisécurité en Europe  » qui accompagne les «  mutations de la société en créant de nouveaux paradigmes dans le domaine des ressources humaines  ». En tout cas, ces associations flexisécuritaires semblent être bien appréciées par l’État : en 2018 Gel Gebara a touché plus de 500 000 euros de CICE (crédit d’impôts), en plus de multiples exonérations fiscales.

Le petit problème, c’est que ces combines ne semblent pas vraiment rentrer dans le cadre du Code du travail. Le Canard enchaîné (24/07/19) nous apprend que « pour l’inspection du travail, c’est tout le système mis en place avec les Gel et les grandes boîtes qui relève du “prêt illicite de main-d’œuvre” et du “marchandage” – deux pratiques qui constituent un délit et sortent du cadre légal de l’intérim. Saisi du dossier, le parquet de Bourg-en-Bresse a confié l’enquête aux limiers de l’OCLTI et les services fiscaux sont entrés dans la danse. »
 
Un climat de peur entretenu par La Poste

Un délégué CGT dans un Gel du nord de la France : « C’est vraiment dur d’organiser les salariés avec ces conditions d’emploi parce qu’on n’a aucune possibilité de contacter les salariés qui sont éclatés. Cette organisation relève de la fraude au niveau national. En fait les personnes employées bossent toujours pour la même boîte, elles devraient donc être embauchées par cet employeur.  »

Juliette et Paul le confirment : on ne leur a jamais proposé de bosser pour une autre entreprise que la Poste. Sa volonté d’avoir recours à ces contrats n’est pas un hasard, selon Sam de Sud-PTT : « Ce que La Poste gratte sur les salaires, elle le perd en facturation versée au Gel. L’enjeu principal pour La Poste, c’est surtout de casser les collectifs de travail, empêcher la solidarité entre postiers, détruire la présence syndicale. La Poste maintient un climat de peur, de sanctions et de division pour éviter que ça explose. À Grenoble, par exemple, plus de la moitié des contrats de facteurs sont précaires. On a un empilement de statuts différents pour un seul métier : CDD, intérim, alternants, contrats pro, stagiaires et maintenant ces CDI intérim détachés.  »

Vous râlez contre les facteurs, parce que votre courrier est arrivé en retard ? Parce que votre recommandé a été avisé alors que vous étiez chez vous ? Vous pensez que ce sont tous des fainéants incapables qui profitent de la sécurité de l’emploi ? Eh bien, sachez que la dégradation du service postal est organisée sciemment par la direction de La Poste.

Depuis quelques temps, Paul a été viré de son bureau de poste suite à une « altercation avec un nouveau directeur qui donnait des ordres incohérents. Là, ils viennent de me proposer un poste à une plateforme colis à quarante kilomètres de chez moi. Si je refuse, ils me licencient, ce qui est leur but, donc je vais tenter d’y aller. Bien entendu les frais de déplacement ne sont pas remboursés.  »

Juliette, elle, est toujours en attente d’un CDI La Poste : « Ils me l’avaient promis dès le début mais j’y crois pas trop. J’en connais d’autres qui sont en contrat Gel, un a été passé en CDI La Poste au printemps dernier, mais on ne sait pas trop sur quel critère. Ça met une tension entre les Gel : on vient nous voir individuellement, presque en cachette. Quand on se plaint, ils nous disent qu’ils veulent arrêter les CDI Gel. Mais au même moment, ils en proposent à plein de gens. C’est de la stabilité très instable : on sent qu’on est toujours sur la sellette. Le CDI Gel leur permet de se rendre compte avec qui ils veulent continuer à travailler. C’est un peu comme si c’était une nouvelle période d’essai. Ceux qui l’ouvrent trop ou qui ont des arrêts maladie, ils n’auront jamais de CDI La Poste.  »

*Les prénoms ont été modifiés.

 
Plus d'infos sur vos droits en intérim à la poste dans notre section dédiée: sudptt38-73.fr/documentation/cdd-interimaires